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Un monstre à Londres

Ce n’est pas la suite de l’excellent film d’animation de Bibo Bergeron, mais bien un projet pharaonique qui, loin de toute monumentalité inspirante, menace de défigurer le cœur résidentiel de Kentish Town et le paysage londonien.

Ce complexe aura, on l’espère, son utilité immédiate. Mais ses volumes relèvent de l’hérésie :

  • Des bâtiments trop hauts et trop massifs, évoquant le visuel d’un gigantesque centre d’incinération ;
  • Implanté au milieu de quartiers résidentiels typiques de l’âme londonienne, à deux pas du célèbre Camden Town où affluent les touristes du monde entier ;
  • Une densité oppressante : des tours collées les unes aux autres, un bloc central monolithique qui refusera la lumière du jour à nombre de ses travailleurs.

Pensons aussi à l’avenir :

  • Son style purement fonctionnel est sans grâce ni identité : lorsque les besoins évolueront – et ils évolueront – personne n’aura envie de sauver cet ensemble. L’unique issue sera une coûteuse démolition ;
  • Ses formes cubiques, inadaptées aux précipitations londoniennes, lui promettent une obsolescence accélérée ;
  • Autoriser un tel mastodonte revient à créer un précédent pour d’autres projets tout aussi massifs, qui finiront par déshumaniser toute la ville et la rendre invivable.

À l’heure de l’urgence climatique, ériger un tel gouffre en ressources et en énergie est indéfendable, et l’urbanisme doit limiter la densité sous risque d’asphyxie.

Une ville peut envisager de grands volumes, à condition de porter la dimension symbolique de phares éclairants les peuples. Les civilisations ne seraient pas sans leurs cathédrales ni leurs pyramides. Ces édifices effleurant le ciel ont toujours eu la vocation de porter un idéal de grandeur, célébrant une longue histoire, et donnant ainsi à l’avenir une direction civilisationnelle.

A ce titre, notre responsabilité en ce XXIème siècle est de transmettre le meilleur de nous mêmes et de refuser que la laideur et l’angoisse envahissent nos vies ; encore plus quand elles sont portées aux pinacles de nos villes.

Londres, ville phare de l’humanité, mérite mieux que ce cauchemar en béton armé.


La pétition : www.protect-kentish-town-skyline.org/home

En savoir plus : https://westkentishtown.org/2025/10/14/regis-towers/

Pourquoi ne se bouscule-t-on plus à la Samaritaine ?

De prime abord les prix parisiens, qui ont chassé les classes populaires au profit d’une clientèle fortunée, seraient la cause de cette désaffection. Il y a du vrai, mais la gentrification n’explique pas tout.

Poussez plutôt les portes du Printemps Haussmann : malgré des tarifs élevés les touristes affluent, invités par une façade accueillante, puis envoûtés par sa sublime coupole Art Nouveau. Mettez-vous un instant à leur place : pour les mêmes marques de luxe, où iriez-vous ? Dans un endroit emblématique que l’on ne trouve que dans Paris, ou tenteriez-vous cette vitrine géante qui pourrait exister dans n’importe quelle métropole et que certains, non sans malice, comparent à un rideau de douche ?

Un visiteur est en quête d’un imaginaire qui lui éveillera son envie d’acheter, même plus cher, des marques qu’il pourra tout aussi bien acquérir chez lui ou via Internet, car elles lui rappelleront sa belle expérience. Inversement, une façade inexpressive n’attirera pas foule, fût-elle signée par un cabinet d’architecture renommé.

L’erreur de cette rénovation a été de croire qu’une façade et un intérieur importent peu, pourvu que l’offre commerciale soit au rendez-vous. Les promoteurs ont pensé que la belle verrière de la Samaritaine, heureusement préservée, mais accessible depuis la rue Rivoli qu’après avoir traversé de longs espaces quelconques, suffise à convaincre. Cependant le touriste passant dans cette rue, ignorant souvent cette subtilité, a déjà passé son chemin.

Source : La Samaritaine : les chiffres secrets d’un fiasco | Mediapart

Nous travaillons sur une proposition pour faire de ce bâtiment Rivoli un lieu unique, riche en imaginaire. Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour ne rien rater !

Du béton durable

À condition de l’utiliser correctement, le béton peut être un matériau élégant et durable. 

  • Pont du Gard, France – Béton non armé, 2 000 ans. Sa conception en arches superposées démontre une maîtrise précoce du béton et une longévité record.
  • Panthéon de Rome, Italie – Plus grande coupole en béton non armé, 1 900 ans. Sa durabilité exceptionnelle vient de la qualité du béton romain (pouzzolane) et de sa conception architecturale ingénieuse.
  • Église de la Sagrada Família, Barcelone, Espagne – en construction depuis 140 ans. Les structures en béton armé des tours paraboliques allient innovation technique et esthétique organique.
  • Siège de la société Hennebique, Paris, France – Premier immeuble parisien en béton armé, 125 ans. Illustre la robustesse et la polyvalence de ce matériau.
  • Opéra de Sydney, Australie – 50 ans. Ses voiles de béton précontraint blanches, évoquant des voiles de navire, combinent esthétique audacieuse et prouesse technique.

Ces beaux exemples prouvent la noblesse de ce matériau, même utilisé directement en façade. Il permet en effet des structures et des formes audacieuses avec une praticité et une dureté incomparable. Avec l’ambition de transmettre un patrimoine sur des siècles voire des millénaires.

Pourquoi le béton fait-il alors polémique ?

Sa mauvaise utilisation engendre un impact environnemental considérable et un enlaidissement de nos villes et de nos paysages.

Car il y a une erreur fondamentale dans son utilisation aujourd’hui : son exploitation dans de l’architecture fonctionnelle qui, par définition, se limite à la réponse à une fonction.

Or les besoins évoluent, et les bâtis avec. Ceux adaptés à leur climat et portant des messages esthétiques ou culturels gagneront en estime, avec des gens soucieux de leur préservation, quitte à les reconvertir. Mais utiliser le béton pour une conception juste fonctionnelle est une erreur funeste, car elle finira alors démolie ou corrodée, provoquant alors un immense gaspillage financier et environnemental.

Tout ce qui est pensé à faible horizon, comme hélas la plupart des réalisations d’aujourd’hui, devrait s’en tenir à des matériaux biodégradables, plutôt qu’un matériau aussi énergivore et persistant qu’est le béton.

60 % à 90 % de l’impact carbone d’un bâtiment se produit durant ses phases de construction et de démolition. Le béton sera durable s’il est beau, ou ne le sera pas.

La Défense, haut lieu culturel

Et si ce quartier d’affaires était empli de poésie, de culture et d’originalité ? Fini, le cliché de la place financière déshumanisée, interchangeable avec La City, Shanghai, Francfort, Moscou ou Abidjan.

La Défense ose l’audace : devenir un lieu unique d’expression artistique. En réponse à un concours audacieux, sculpteurs, plasticiens, peintres, artisans et créateurs de tous horizons sont venus humaniser le lieu dans un ensemble cohérent.

Me voilà face à la Grande Arche, entourée de gratte-ciels ornés de représentations du vivant, de symboles de notre civilisation, et d’allégories de la finance. Des rires interrompent ma contemplation : les groupes de visites s’enchaînent, et je vois un garçon s’amusant devant une gargouille qui asperge une drôle de sculpture. C’est la “Jabra”, une sorte d’hydre terrassée par les flots. La métaphore, dit-on, des réunions interminables qui règnent ici. Cravaté je presse le pas sur le chemin du travail, un peu désorienté par tous ces touristes. Un sentiment d’appartenance et de fierté m’envahit.

… Une utopie dans l’immédiat et pourtant, la réponse nécessaire à notre société déprimée qui jamais, n’a tant été en mal d’imaginaire.

Avec une telle initiative, nul doute que la Défense – ou tout autre endroit – deviendrait un lieu réputé voire même touristique, plutôt qu’une copie fonctionnelle de plus.

Amis bâtisseurs du contemporain, osez ! Ajoutez à vos bâtis couleurs, sculptures, repères, de l’originalité, de l’exploration pour les yeux, des messages d’avenir… Quitte à vous associer avec les artistes de votre choix. Pour que l’architecture redevienne populaire.

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Dans l’illustration, cette statue de cerf en art polygonal est en réalité issue de la proposition Regard Naïf pour la rénovation de la Tour Montparnasse, où un exercice similaire a été effectué : Regard Naïf – Montparnasse 2030

Une autre vision pour la Tour Triangle

Image Herzog & de Meuron Basel / Grok

Un jour, un ami m’a demandé si j’avais un contre-projet pour ce prisme controversé. En pleine élévation, sa présence dans le ciel parisien rivalisera bientôt avec la Tour Eiffel et l’ombre de Montparnasse.

Polémique depuis 17 ans, cette tour est largement rejetée pour des raisons évidentes :  

– Son utilité, bien incertaine dans un marché immobilier vacillant,

– Son emplacement dans un quartier déjà saturé, et ombrageant les riverains,

– Son esthétisme et sa monumentalité que chacun jugera, même si le promoteur a promis sa quasi transparence…

– Le double discours d’urgence bioclimatique.

Après une réflexion aussi brève qu’un croquis de triangle, l’idée jaillit : et si l’audace était de s’abstenir ? Ou de concrétiser cette forêt urbaine tant plébiscitée par la mairie ?

Des arbres, une pelouse, un souffle vert pour les citadins.

Nos villes réclament de l’équilibre. Parfois, le courage et l’esprit de responsabilité réclament de ne rien faire.

Ici, entre périphérique et boulevards, le murmure des feuilles plutôt que le fracas des bétonneuses, eût été l’acte visionnaire.

Et vous, quelle Tour Triangle auriez-vous aimé pour Paris ?

Architecture : Un siècle d’intelligence artificielle

Image générée par l’IA Grok


Peu de domaines auront autant préparé le terrain pour l’arrivée de l’IA.

Il y a un siècle, Le Corbusier, Walter Gropius et Adolf Loos imposaient une nouvelle architecture, brisant les codes traditionnels, selon plusieurs préceptes :
Rejet des ornements, pour une architecture fonctionnelle et globalisée, marquant la fin des décorations symboliques,
– Un idéal de progrès et d’égalité, transcendant les identités culturelles pour un avenir rationnel, post-Première Guerre mondiale.

Depuis, le métier d’architecte s’est retrouvé toujours plus contraint :
Multiplication des normes,
Généralisation des logiciels de modélisation (CAD), corsetant la créativité par rapport au dessin à main levée,
Délais toujours plus courts, pressions économiques,
– Une corporation à l’idéologie dominante bornée au fonctionnalisme, et qui refuse tout retour en arrière.

Le contemporain a – parfois – sa part artistique, mais elle reste timorée, triviale, souvent déconnectée du lieu et de l’usage. Un “art” difficile à distinguer d’un algorithme, réduit à du paramétrage géométrique couplé à de la variabilité voire du chaos.

Ce qui pose une menace existentielle : qui, de l’humain ou de la machine, résoudra le mieux un cahier des charges ? Qui sera le plus rapide, le moins cher ?

Pourtant, l’architecture est bien plus. Art démocratique, elle s’offre à chaque promeneur, quelle que soit sa condition. Nos villes et nos yeux méritent mieux que des alignements de cahiers des charges concrétisés.

Eugène Viollet-le-Duc l’avait prédit dans ses entretiens : rester en dehors du mouvement imprimé aux lettres, aux sciences et à la philosophie, c’est se condamner à une mort certaine.

Sans sursaut, l’architecture sera condamnée par la machine.

Que faire alors ?

C’est l’essence de Regard Naïf : promouvoir une créativité qui façonne nos civilisations par des messages accessibles, ancrés dans nos racines et nos imaginaires, et pensés pour nous reconnecter à notre humanité, avec nos sensibilités, cultures et identités

D’autres initiatives, comme Pour une Renaissance Urbaine, cherchent à rassembler architectes, urbanistes et intellectuels pour réhumaniser la ville et promouvoir le beau. Pour que le métier d’architecte retrouve ses lettres de noblesse.

Dessine-moi un château d’eau

Imaginez un château d’eau : le modèle « bouchon de champagne », silhouette standardisée jalonnant nos campagnes, vous viendra certainement en tête. Pourtant, savez-vous que ces tours d’eau peuvent se parer de mille visages ? En France, leur essor débute dans les années 1930, avant une généralisation entre 1950 et 1970, si bien qu’environ 90 % de ces édifices suivent un modèle uniforme. Mais bien avant, il en existait déjà, et quelques merveilles ont traversé le temps.

Faisons un pas de côté : et si ce foisonnement de châteaux d’eau avait épousé nos identités ? Tout comme nos nombreux moulins, il seraient devenus autant de motifs de fierté pour les habitants, les voyageurs, et pour les artisans qui y auraient apporté leur touche. Un riche patrimoine du XXème siècle à léguer à nos enfants, une poésie gravée dans nos paysages pour les siècles à venir.

Car un même usage peut prendre autant d’apparences que de lieux lorsqu’il s’inspire du patrimoine local et s’enrichit d’une part d’imaginaire. Reconnaissons-le, ces « bouchons de champagne », on a fini par s’y attacher. Surtout quand ils se métamorphosent en œuvre d’art grâce à des graffeurs chevronnés.

Mais en règle générale, leur forme standardisée et leur monotonie dominent. Alors, pour nos bâtiments, notre mobilier urbain, nos infrastructures… pourquoi s’en tenir à des modèles en série à l’apparence banale, quand nous sommes capables de tant d’imagination ?

L’Arbre Blanc de Montpellier, élu plus bel immeuble résidentiel du monde.

« L’Arbre Blanc » de Montpellier, Ludwig Deguffroy/Getty Images

Ne nous attardons pas ici sur la légitimité de ce titre, un brin corporatiste, ni sur sa pertinence car quelques minutes de marche dans n’importe quel centre historique suffiraient à questionner la portée mondiale de ce superlatif du beau.

Restons plutôt sur ce clin d’œil assumé à la nature : la plus évidente des beautés sera toujours celle de la nature, et le sentiment de bien-être que le beau nous procure est profondément similaire à celui ressenti en contemplant un paysage.

Si de prime abord certains trouveront que cet « Arbre » a surtout des allures de conifère trop taillé, force est de reconnaître que cette reconnaissance marque une avancée dans l’architecture contemporaine pourtant si prompt à s’émanciper des codes qui nous définissent en tant qu’êtres sensibles. Même si elle reste le fruit d’une créativité cruellement limitée à des formes géométriques basiques.

Gageons que cette auto-reconnaissance encourage la communauté des architectes contemporains à une inspiration plus naturelle, indispensable à notre bien-être d’êtres vivants en ville.

Source : AD Magasine – 23 avril 2025